
CHAPELLE DES
SCROVEGNI
VENDREDI 14 MARS
Au XIVe siècle, en l'émancipant de son statut décoratif, Giotto révolutionne la peinture. C'est pour qualifier son génie que le poète Dante invente le mot “artiste".
Un peintre précoce qui fait l’admiration de son maître
Une anecdote célèbre raconte comment Giotto, enfant, fut remarqué par Cimabue, alors le plus grand peintre florentin du XIIIe siècle : le maître, passant à cheval, voit un jeune berger dessiner sur une ardoise une brebis d'un tel réalisme qu'il en est subjugué et embauche immédiatement l'enfant dans son atelier. C'est une légende. Un siècle plus tard, dans les Vies, Vasari en raconte une autre. Elle dit que Cimabue voulut chasser une mouche peinte par Giotto sur le nez du personnage d'un tableau. Le peintre copie si parfaitement la nature qu'il arrive à tromper l'œil de son maître.
Une véritable immersion qui préfigure les écrans géants en 3D
La chapelle contient cinquante-trois fresques de Giotto. La visite autorise donc dix-sept secondes par oeuvre ! C’est une commande du riche banquier Enrico Scrovegni, pour sa chapelle personnelle. En faisant appel à l’un des plus grands maîtres de son temps, il s’assure la reconnaissance de ces concitoyens. Cette chapelle est un peu comme une campagne de communication, une façon d’a rmer son pouvoir auprès des hommes et de s’attirer les bonnes grâces de Dieu... Vu l’ampleur de l’œuvre de Giotto, il faut imaginer que ceux qui avaient la chance d’accéder à cette chapelle se retrouvaient comme nous aujourd’hui devant un écran géant d’un cinéma 3D

Nous sommes devant le premier témoignage d’un récit en ‘vignettes’ ou ‘cases’. L’ancêtre de la bande-dessinée !
Giotto a rempli un programme complexe couvrant les anciens et nouveau testament. Les scènes se déroulent sur les deux parois latérales et sont découpées en tableaux par des cadres en trompe-l’œil. Cette composition suit une logique chronologique, de la vie d’Anne et de Joachim (parents de marie) à celle du Christ, dans le sens horizontal et de haut en bas, comme une bande dessinée géante.

Intérieur de la cathédrale de Monreale - Sicile Vers 1170. Le style byzantin où les personnes semblent « Flotter» dans un espace doré (divin).
Des décors presque "réels"
Nombreux sont les historiens qui s’accordent à trouver en Giotto l’inventeur de la peinture italienne. Sa peinture se distingue de ce qu’on appelle le style byzantin, ou les figures ont l’air de flotter dans un univers céleste où baigne une irréelle lumière dorée. Avant Giotto, l’homme n’est pas représenté dans un espace réel mais un espace DIVIN symbolisé par les fonds dorés.
Cela signifie que DIEU est partout. AVANT Giotto, il n’existe pas de décors réels dans les peintures (paysages, nature, maisons, arbres, ciel, terre...) Il n’y a qu’un «fond» doré, céleste, divin. AVEC Giotto, DIEU n’est plus au centre de TOUT : l’homme prend une place «réel» dans un espace «réel». Cette pensée annonce la révolution copernicienne (la terre n’est pas au centre de tout) et la pensée humaniste de la renaissance.


Annonce à Saint- Anne (vie de Joachim. panneau n°3) Chapelle Scrovegni de Padoue Giotto intègre les personnages dans des espaces «réels», comme dans une scène de théâtre
Giotto a cherché à camper ses scènes dans un environnement terrestre qui puisse, tant que possible, être crédible. Evidement, les architectures semblent trop petites par rapport aux personnages, et maladroites (la perspective n’a pas encore été inventée) mais elles jouent leur rôle de décor théâtral, comme la maison d’Anne, dans l’Annonciation dont la paroi a été retirée, comme dans une maison de poupée, pour qu’on puisse voir ce qui se passe à l’intérieur. Autre geste théâtral dans le même tableau, l’ange qui traverse le mur, certains auraient dit : ‘mais vous êtes en pleine science Fiction !’

les acteurs sont filmés sur un fond vert (ce n’est plus un fond doré comme dans l’art byzantin !) qui est ensuite remplacé par un décor numérique.
La révolution dans la façon de faire des images chez Giotto est aussi importante que celle à laquelle nous assistons au cinéma avec la reconstruction d’environnements 3D (ou compositing) dans les films.
Il faut imaginer que la fascination que nous avons pour les images des Films comme à une époque Le seigneur des anneaux est identique à celle que les contemporains de Giotto éprouvaient en découvrant la chapelle Scrovegni.

Sur cette oeuvre du maître de Giotto, on peut encore voir que les visages des anges et de la vierge sont très proches et manquent encore d’individualisation, de personnalité propre, d’expressions. Giotto va ainsi dépasser le maître pour parvenir à rendre ses personnages «vivants».
Des expressions dans les visages, des émotions, des attitudes pour chaque personnage
Ainsi, si AVANT Siotto, les représentations de personnages humains donnaient une impression de froideur, de distance, comme s’ils étaient des marionnettes, des mannequins sans vie, sans émotions, les personnages de Giotto ont quelque chose de naturel, de profondément humain. Ils vivent et expriment des sentiments ! Regardez les ‘seconds rôles’, comme la fileuse de l’Annonciation à Saint Anne, ou le buveur de vin dans les Noces de Cana de Véronèse.

Giotto, Le baiser de Judas - (panneau n°31) chapelle scrovegni de Padoue : Judas annonce au Christ qu’il va le trahir et le livrer aux romains
La scène la plus expressive est sans doute le Baiser de Judas , dans laquelle Giotto s’est passé de décor architectural. Une foule de personnages, qui semblent se prolonger dans le ciel par des lances, s’agite autour du couple Christ / Judas. Les deux hommes, de pro l, s’a rontent dans un face à face intense. Le Christ, grave mais serein, a le corps enveloppé par la tunique de son fourbe interlocuteur. Giotto ne fait pas que narrer une histoire. Il transmet des émotions.